Juillet 2020, Galerie Saladin : Une Révolution Esthétique Sous le Ciel de Sidi Bou Saïd
Par Jean-Baptiste Mesona, critique d’art et auteur de « La Ruée vers l’Art »
Il existe des expositions qui marquent non seulement un tournant dans la trajectoire d’un artiste, mais qui redéfinissent les codes mêmes de la scène artistique contemporaine. « Des Femmes et des Chats », présentée du 4 au 19 juillet 2020 chez Galerie Saladin (Sidi Bou Saïd), appartient indubitablement à cette catégorie.
Cinq ans après cette exposition majeure, ArtNova Gallery revient sur cet événement qui a consacré la mutation créative d’Amin Chaouali, révélant au public un artiste métamorphosé, affranchi des codes de l’orientalisme pictural pour embrasser une avant-garde résolument post-contemporaine.
L’Alchimiste-Plasticien : Portrait d’un Artiste en Révolution
Certaines personnes ont de l’or dans leurs coffres pour affronter les affres du monde. L’artiste, lui, a avant tout son imaginaire, sa créativité, sa poésie, sa folie. L’exercice de son art lui sert alors à voir et appréhender le monde tel qu’il est, mais surtout à le réenchanter, le rehausser, et à nous l’offrir magnifié après. Et quand il y met tout son talent, toute sa passion et tout son cœur, cela fait souvent des merveilles.

C’est précisément ce qui s’est produit lors de cette exposition de juillet 2020. Amin Chaouali, né en 1969 au Kram, familier des sites de Carthage et Sidi Bou Saïd et des doux rivages méditerranéens, présentait le résultat de cinq années d’expérimentation radicale. Plus de 40 œuvres inédites – peintures, céramiques d’art, dessins, installations, performances – témoignaient d’une refondation complète de son vocabulaire plastique.
Les Racines : Du Pleinairisme Oriental à la Quête du Sublime
Pour comprendre l’ampleur de cette mutation, il faut revenir aux origines. Très jeune, Amin Chaouali s’était engagé avec un tempérament fougueux et passionné dans la réalisation de toiles de type paysagiste. Nourri de poésie rimbaldienne (« Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Eternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil. »), de musique rock et de références picturales impressionnistes, il avait affirmé très vite une palette singulière.
Avec une énergie époustouflante, ce bourreau de travail menait sa vie d’artiste à la fois en décors réels, peignant en plein air avec la nature pour modèle, et aussi dans la solitude démiurgique de l’atelier, là où, en proie à des introspections psychologiques et spirituelles, il élaborait patiemment sa grammaire picturale, son alchimie du trait.

À toute heure de ses journées, quand le roi des étés illumine de toute sa gloire le golfe de Tunis et les jardins de Carthage, il cherchait à capter cette lumière tunisienne unique, féerique, magique – celle de l’aube charismatique, celle du zénith radieux, celle du crépuscule alanguie, et celle du minuit ravi aussi. En 2009, un livre d’art « Amine Chaouali, Couleurs et Lumières de Tunisie » retraçait toute cette période fondatrice.
2015-2020 : La Grande Mutation Esthétique
Après presque 30 ans de pratique professionnelle, d’expositions et de reconnaissances multiples, arrivé à un haut niveau de maturité technique, Amin eut envie de vivre, peindre et proposer une nouvelle esthétique. Il savait que l’hétérogénéité des œuvres est une autodéfense contre les réductions simplistes et faussement rationnelles, un rempart contre les cases et étiquettes.
Il changea alors de cycle et de style créatif, refondit tout : le fonds, la forme, les sujets, les instruments. Il développa un nouveau traitement, une nouvelle coloration, explora de nouvelles textures, et rechercha une étendue et profondeur plus ambitieuse, plus proche de lui. Sa peinture sensuelle, flamboyante, spirituelle, qui avait fait sa renommée, rejoignait désormais la légende de la peinture orientaliste tunisienne, et laissait la place à une veine résolument plus contemporaine et universelle.
Le Nouvel Alphabet Plastique
Pour créer ce nouveau langage formel, sa nouvelle palette, son nouveau toucher, il mélangea ses influences picturales habituelles (Paul Cézanne, Henri Matisse, Pablo Picasso, Pierre Bonnard) à d’autres itinéraires jusque-là moins familiers : Jean Dubuffet, Niki de Saint-Phalle, Gaudi, Frank Stella – ceux qui ont produit des œuvres où la dynamique du langage est plus expressive que le sens même. Dans cette confrérie d’étonnants créatifs, Amin Chaouali trouvait désormais légitimement sa part d’héritage à faire fructifier.
La profonde originalité des nouvelles collections d’Amin Chaouali depuis 2015 réside dans l’énigmatique rapport au tableau que l’auteur impose à ses suiveurs : un rapport fait de mises à distances plus ou moins éloignées, d’exercices visuels pour découvrir le vrai sujet, d’illusion et jeux d’optique codifiant l’accès et l’intimité de certaines toiles.
Son toucher électrique, sa sensibilité exacerbée, sa lumineuse intensité demeuraient là, véritable marque de fabrique. Sa soif du sublime restait intacte, toujours captivante, mais renouvelée, régénérée. Sa quête d’absolu continuait alors sous d’autres formes, avec d’autres motifs, d’autres supports.
Convaincu que chaque matériau a une âme et une histoire à raconter, il appliquait alors simultanément sa démarche à la peinture, au dessin, à la sculpture et à la céramique.
Les Femmes : Portraits Vibrants de l’Émancipation
Plus moderne que jamais, c’est en multipliant les portraits de femmes qu’il accomplit pleinement sa mutation et matérialisa ses idées. Les œuvres présentées en juillet 2020 révélaient une galerie de figures féminines d’une intensité troublante.







Ses muses, tantôt carthaginoises tantôt vénitiennes, tantôt new-yorkaises tantôt parisiennes, étaient toujours des femmes émancipées, souveraines, bonnes vivantes. Des femmes envisagées et acceptées dans toutes leurs complexités et contradictions. Des femmes révélées comme rarement, porteuses de dures cicatrices et de doux sentiments. Des femmes dégustant des bonheurs furtifs, à coups d’éclats et de fragments.
À travers ses réflexions d’artiste, avec son talent accompli de portraitiste, Amin Chaouali nous faisait admirer avec lui des femmes aux visages les plus vibrants qui soient, des femmes aux auras les plus magmatiques vues jusque-là.

Technique et Innovation : Le Pointraillisme Chaouali
Sur le plan technique, l’exposition révélait une innovation majeure : le développement d’un style que Chaouali nommait lui-même le « pointraillisme » – une technique très visuelle et résolument actuelle intégrant la pixellisation, où la grammaire picturale repose principalement sur le trait, le point et les perspectives et effets d’optique.
Les portraits féminins présentés chez Galerie Saladin illustraient parfaitement cette approche : de loin, des visages cohérents, expressifs, magnétiques. De près, une fragmentation jubilatoire où chaque point de couleur, chaque hachure, chaque gribouillis nerveux participait à la construction d’une présence.
Les Chats : Alter Ego Mystiques de l’Artiste
L’autre révélation de cette exposition était la place centrale accordée au motif félin. Déclinés en multiples figurines de céramique d’art – cette discipline très raffinée dont Chaouali est l’un des rares à maîtriser aussi brillamment les différentes phases –, les chats n’étaient autres que l’alter ego de l’artiste.
Comme il l’expliquait lui-même : « Emblème de liberté et d’indépendance, le chat est connu pour être un animal qui ne fait rien par contrainte. Silencieux, mystérieux, intuitif, magnétique, le chat regarde le monde avec un certain détachement. Il porte en lui des secrets et énergies d’un indicible ailleurs. L’artiste est aussi souvent ainsi. »

Ces céramiques sculptées révélaient une maîtrise technique exceptionnelle : faïence, grès, porcelaine, travaillés avec une virtuosité qui transcendait la frontière entre artisanat et art contemporain. Certaines pièces intégraient des fragments d’or, de la résine, des matériaux hybrides, créant des objets-sculptures d’une présence fascinante.
L’Expérience de l’Exposition : Immersion et Performance
Ce qui distinguait « Des Femmes et des Chats » d’une simple exposition de galerie était sa dimension expérientielle et performative. Chaouali ne se contentait pas d’accrocher des toiles et de disposer des sculptures. Il créait un environnement immersif où peinture, céramique, dessin et installation dialoguaient dans un espace soigneusement scénographié.
Les visiteurs témoignaient d’une expérience troublante : ces visages féminins qui semblaient vous suivre du regard, ces chats de céramique disposés à différentes hauteurs créant des perspectives inattendues, ces jeux de lumière révélant progressivement les détails des œuvres.
Galerie Saladin (Sidi Bou Saïd), avec ses murs blancs et sa lumière méditerranéenne filtrée, offrait l’écrin idéal pour cette présentation. L’exposition était ouverte tous les jours de 15h à 20h (sauf le dimanche de 10h à 20h), permettant aux visiteurs d’expérimenter l’œuvre sous différentes lumières – celle de l’après-midi écrasante, celle du crépuscule dorée.
Analyse Critique : Une Exposition Charnière
Avec le recul de cinq années, il apparaît clairement que « Des Femmes et des Chats » a constitué un moment charnière dans la trajectoire d’Amin Chaouali et, plus largement, dans l’évolution de l’art contemporain tunisien.
1. L’Affirmation d’un Art Post-Contemporain Tunisien
L’exposition marquait la pleine émergence d’un art post-contemporain spécifiquement tunisien : un art qui intègre les acquis de la modernité et de l’avant-garde internationale tout en réaffirmant une identité méditerranéenne et nord-africaine.
Chaouali ne cherchait plus à dialoguer avec l’orientalisme européen (Delacroix, Matisse) en reproduisant ses codes ou en les contestant. Il créait un langage autonome, puisant aux sources de sa propre culture sans exotisme ni folklorisme.
2. La Légitimation de la Céramique comme Art Majeur
En accordant une place centrale à la céramique sculpturale, Chaouali participait à un mouvement plus large de réévaluation des hiérarchies entre arts majeurs et arts appliqués.
Ses chats de céramique, ses masques, ses bustes féminins n’étaient pas des objets décoratifs mais des sculptures à part entière, techniquement virtuoses et conceptuellement complexes. Cette affirmation a ouvert la voie à de nombreux céramistes contemporains tunisiens.
3. Le Portrait Féminin Comme Territoire d’Exploration
L’obsession pour la figure féminine révélée dans cette exposition anticipait les questionnements contemporains sur l’identité, le genre, la représentation. Les femmes de Chaouali échappaient aux stéréotypes orientalistes (l’odalisque passive, la femme voilée mystérieuse) pour incarner une féminité complexe, contradictoire, puissante.
4. L’Engagement Écologique et Matériel
Moins visible mais fondamental, l’exposition témoignait d’un engagement écologique croissant de l’artiste. Chaouali intégrait de plus en plus dans son travail des matériaux recyclés, des fragments récupérés, une pratique du réemploi qui préfigurait les préoccupations environnementales aujourd’hui centrales dans l’art contemporain.
Témoignages et Réception Critique
L’exposition a suscité des réactions passionnées, tant du public que de la critique spécialisée.
Hatem Bourial, chroniqueur culturel tunisien, notait : « Chaouali opère ici une transmutation alchimique complète. Ce n’est plus le même artiste, et pourtant c’est bien lui, reconnaissable dans chaque coup de pinceau, dans chaque modelage d’argile. »
Les collectionneurs présents rapportaient l’intensité émotionnelle de l’expérience. Plusieurs acquisitions majeures ont été réalisées pendant les deux semaines de l’exposition, témoignant de la reconnaissance immédiate de l’importance de ce moment.
Le public tunisien, habitué aux paysages lumineux et aux natures mortes de l’artiste, était parfois déstabilisé par cette nouvelle direction, mais globalement enthousiasmé par l’audace de la démarche.
L’Héritage : De 2020 à 2025
Cinq ans après « Des Femmes et des Chats », l’impact de cette exposition se mesure pleinement :
Sur la Trajectoire de Chaouali
L’artiste n’est jamais revenu à son ancienne manière. Les directions explorées en 2020 – le pointraillisme, la céramique sculpturale, les portraits féminins fragmentés – sont devenues le cœur de sa pratique actuelle. Les tables d’appoint en résine et céramique, les masques sculptés, les installations hybrides : tout découle de cette refondation de 2015-2020.
Sur la Scène Artistique Tunisienne
L’exposition a légitimé une approche plus expérimentale, moins conventionnelle de l’art contemporain tunisien. Elle a montré qu’on pouvait être profondément enraciné dans la culture méditerranéenne tout en dialoguant avec les avant-gardes internationales.
De nombreux jeunes artistes tunisiens citent aujourd’hui cette exposition comme une révélation, le moment où ils ont compris qu’une autre voie était possible.
Sur le Marché de l’Art
Les œuvres présentées en juillet 2020 ont vu leur valorisation augmenter significativement. Les collectionneurs qui ont eu la lucidité d’acquérir pendant l’exposition possèdent aujourd’hui des pièces de référence dans la production de Chaouali.
La Créativité Comme Résistance au Désenchantement
En conclusion de mon texte critique de juillet 2020, j’écrivais : « La créativité d’Amin Chaouali procède du cœur, parle au cœur. Elle ne prétend pas plaire spontanément mais exprime ce qu’il y a de plus sublime dans l’artiste : la capacité de préserver son intégrité, et de se tourner vers la Beauté même quand l’homme est plongé dans les pires tourments et la plus déroutante des confusions et dépression. »
Cinq ans plus tard, dans un monde qui n’a cessé de se complexifier et de s’assombrir, ces mots résonnent avec une acuité renouvelée. L’exposition « Des Femmes et des Chats » nous rappelle que l’art n’est pas un luxe ou un divertissement, mais une nécessité existentielle – une manière de réenchanter le monde, de le rehausser, de nous le rendre habitable.
C’est sans doute cette ténacité dans la créativité et cette perpétuelle quête du Beau sous toutes ses formes qui donnent au parcours et à l’œuvre de Chaouali ce touchant caractère d’authenticité tant apprécié par les collectionneurs et les amateurs d’art.
L’Éternité Retrouvée
Je terminais mon texte de 2020 par cette citation d’Arthur Rimbaud, poète cher à Chaouali :
« Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil. »
Dans les visages féminins et les silhouettes félines de cette exposition mémorable, Chaouali cherchait précisément cela : l’éternité. Non pas l’immortalité figée, mais cette qualité d’être pleinement présent, intensément vivant, que seul l’art véritable peut capturer et nous transmettre.
« Des Femmes et des Chats » demeure, cinq ans après, une exposition référence. Elle témoigne du moment où un artiste déjà reconnu a eu le courage de tout remettre en jeu, de se réinventer complètement, de risquer l’incompréhension pour atteindre une vérité plus profonde.
Pour ArtNova Gallery, qui représente aujourd’hui Amin Chaouali et accompagne les collectionneurs dans l’acquisition de ses œuvres, cette exposition de juillet 2020 reste une pierre de touche : elle nous rappelle que l’art véritable est toujours un acte de courage, une mutation perpétuelle, une quête jamais achevée du sublime.

🎨 Découvrez les Œuvres Actuelles d’Amin Chaouali
ArtNova Gallery propose une sélection exclusive d’œuvres récentes d’Amin Chaouali, héritières directes de la révolution esthétique de 2020 :
- Tables d’appoint en céramique et résine (diamètre 50-60 cm)
- Masques sculptés sur socle (céramique, or, matériaux mixtes)
- Portraits de femmes (peinture, technique mixte, pointraillisme)
- Sculptures félines (céramique d’art, éditions uniques)
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📚 Ressources Complémentaires
Pour Approfondir :
- « La Ruée vers l’Art » par Jean-Baptiste Mesona (ouvrage de référence sur l’art post-contemporain tunisien)
- « Amine Chaouali, Couleurs et Lumières de Tunisie » (2009, livre d’art)
- Catalogue de l’exposition « Des Femmes et des Chats » (juillet 2020, Galerie Saladin)
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Glossaire
Alchimiste-plasticien : Artiste transformant la matière brute et les idées en œuvres chargées de symboles et d’émotions, dans une démarche quasi-mystique de transmutation créative.
Pleinairisme : Technique de peinture en extérieur, directement sur le motif, privilégiant la captation de la lumière naturelle et des atmosphères. Chaouali l’a pratiqué intensivement dans sa première période.
Céramique d’art : Pièces céramiques uniques ou en série très limitée, opposées à la céramique artisanale ou industrielle, qui dépassent la dimension utilitaire pour rejoindre le champ de la sculpture contemporaine.
Orientalisme réinventé : Approche contemporaine qui réapproprie les thématiques et esthétiques orientalistes non plus sous le regard colonial européen, mais depuis l’intérieur de la culture méditerranéenne et arabe.
Démiurgique : Qui crée ou transforme à la manière d’un démiurge (créateur mythique), évoquant une puissance créatrice presque divine dans la solitude de l’atelier.
Pointraillisme : Néologisme créé par Chaouali pour désigner sa technique mêlant traits, points et effets d’optique, intégrant la pixellisation contemporaine dans une approche picturale expressive.
Art post-contemporain : Mouvement artistique qui dépasse les dogmes de l’art conceptuel pour réaffirmer la valeur du savoir-faire manuel, de la beauté sensible et de la narration figurative, tout en conservant la liberté formelle de l’art contemporain.
Article rédigé par Jean-Baptiste Mesona pour ArtNova Gallery
Texte critique original : juillet 2020, Sidi Bou Saïd
Rétrospective et analyse : janvier 2025
© ArtNova Gallery 2025 – Spécialistes de l’art post-contemporain méditerranéen et tunisien
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